Le CPA, l’institutionnalisation de la précarité !

La loi Rebsamen du 17 août 2015 crée par son article 38 un « compte personnel d’activité » (CPA) qui deviendra effectif au 1er janvier 2017. Cet article précise que le contenu du CPA et sa « mise en œuvre » sont l’objet, entre Medef et syndicats, d’« une concertation ». Elle a commencé le 7 décembre 2015 et s’est achevé le 8 février 2016.

Qu’est ce que le CPA ?

S’agit-il d’un dispositif pour doter les travailleurs de mesures de protection « sécurisant leurs parcours professionnels » ?

Le CPA est présenté par une structure d’experts attachée au 1er ministre, France Stratégie. Le prétentieux rapport (le CPA de l’utopie au concret, tel est son titre…) reprend et transpose les directives de la Commission européenne concernant la flexisécurité. Les considérants communs à l’Union européenne sont les suivants : la mondialisation de l’économie oblige à une adaptation rapide des salariés aux modifications opérées par la concurrence exacerbée et les restructurations permanentes. L’encadrement légal du marché du travail devient un frein à la flexibilité exigée, et ce frein à la souplesse d’adaptation est l’obstacle majeur à la création d’emplois. Est ainsi décrétée la culpabilité du droit social, fauteur de chômage. L’employeur est exonéré de la moindre responsabilité. En conséquence, le CPA se propose de servir la flexibilité et la mobilité des actifs sur le marché du travail. Tout le vocabulaire du CPA concernant l« sécurisation des parcours professionnels » répond à ces objectifs :

  • Considérer le chômage, la précarité et la destruction d’emplois, par le numérique de marché notamment, comme autant d’éléments objectifs et définitifs.
  • Admettre que l’emploi à vie a disparu. La sécurité de l’emploi doit être remplacée par la sécurisation de l’actif non dans son emploi mais dans son « parcours », forcément interrompu par des périodes de chômage, de précarité et de formation.
  • L’objectif du CPA n’est pas d’établir des revenus sociaux de remplacement du salaire dans la période de chômage. Le CPA se définit comme un outil au service de l’employabilité du prétendant au travail. A lui, individuellement, de faire la preuve qu’il est« employable », par son aptitude à se former, à se rendre mobile, à se soumettre à la flexibilité exigée. C’est sa soumission aux règles de la concurrence sur le marché du travail qui sont consignées dans le CPA, une carte à puce personnelle, qui ressemble étrangement au carnet de l’ouvrier du XIXe siècle.

 

Le Compte personnel d’activité (CPA ) relève-t-il de la création d’un outil contre le chômage ?

Le seul traitement du chômage au travers du CPA consiste à transférer la charge de la preuve de l’aptitude au travail sur la personne. C’est ça qu’ils appellent « employabilité » et « sécurisation des parcours professionnels ». Le plan annoncé de formation des chômeurs consiste à adapter les inscrits à Pôle Emploi au travail immédiatement disponible. S’ils sont au chômage, c’est du seul fait de leur manque de formation, de leur manque de flexibilité et de mobilité pour accepter les emplois disponibles. Qu’ils se conforment au marché tel qu’il est, en renonçant à tout droit autre que la formation exigée. Le CPA repose sur cette idée que l’emploi n’est qu’une forme marchande du travail, et non un support des droits sociaux. Ce qu’il faudrait sécuriser, c’est la faculté du travailleur à correspondre à l’offre immédiate du marché, en d’autres termes « sécuriser l’employabilité ». Le CPA présente la personne comme actrice de son parcours professionnel tout en accentuant sa dépendance subordonnée aux exigences de l’employeur. Le CPA appuie ainsi le développement de travailleurs au statut d’auto entrepreneur, expression parfaite de la rupture avec le salaire et le salariat.

 

En quoi le CPA est-il contradictoire avec la Sécurité sociale ?Le CPA connaît des précédents fâcheux.

Le compte formation professionnelle (CFP), créé le 1er janvier 2015, se présente comme un relevé individuel d’heures de formation (24 heures par an) auquel ont souscrit 1,85 million de salariés au 30 septembre 2015. Le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) ouvre des droits à la formation du fait de l’exposition à la pénibilité définie par 6 facteurs exclusifs, une arithmétique de la RTT, un avantage personnel permettant de réduction jusqu’à 8 trimestres de l’âge de départ à la retraite. C’est dire que les Ani transposés en lois ont déjà entamé le processus de remplacement de la Sécurité sociale universelle par un compte à points attaché à la personne. C’est ce que propose d’accentuer et de systématiser le CPA.

 

Or, en matière d’attachement des droits à la personne, la Sécurité sociale représente l’expérience massive et ancienne, couronnée de succès :

  • Sont attachés à la personne pour des périodes transitoires hors travail les droits sociaux concernant la maternité, la maladie, le chômage, les accidents du travail.
  • Sont attachés à la personne des droits définitifs tels que la retraite et l’invalidité.
  • Ces droits sont ouverts non par un compte personnel par points mais par un modèle qui attache à la personne une sécurité sociale, sans passer par l’épargne personnelle liée aux aléas du marché du travail.
  • La Sécurité sociale permet de déconnecter le revenu vital de ce cercle infernal : « qui a un emploi a un salaire, donc celui ou celle qui perd l’emploi n’a plus de revenu ». La Sécurité sociale a mis en place des prestations basées sur les cotisations sociales, qui garantissent un revenu indépendamment de l’emploi. Les allocations familiales, la moitié des dépenses de la Sécurité sociale, ont constitué un salaire de parents financé jusqu’il y a peu par les seules cotisations patronales. Voilà pourquoi le patronat n’a eu de cesse de transférer ces cotisations vers les seuls salariés, ce à quoi Hollande a souscrit.
  • Il en est de même pour le salaire des retraités, qu’on peut qualifier de salaire d’inactivité. Les retraités reçoivent du régime général une pension qui n’est pas la contrepartie d’un travail dans un cadre de subordination à un employeur, quel qu’il soit. L’acharnement des patrons par l’Agirc Arcco à lier l’autre partie du salaire des inactifs aux aléas du marché, et le transformer en compte à points indique assez leur bataille contre le principe même de Sécurité sociale.

 

Le CPA relève de la méthode de détérioration de l’indemnisation chômage

L’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Unedic), de 1958 (année de sa création) à 1979, affirmait le droit au du salaire à 100% sous condition d’un licenciement économique à la définition très peu restrictive. Depuis 2009 en particulier, le régime conventionnel a introduit le principe d’un jour cotisé égale un jour ouvrant droit à prestation, poursuivi par les droits rechargeables, au cœur de la démarche du CPA.

Ainsi l’Unedic a rompu avec l’assurance chômage de remplacement du salaire pour devenir une institution par laquelle un allocataire se constitue un capital pour assurer ou compléter ses revenus dans les périodes de non emploi ou de sous-emploi. Le CPA, enfin, fournit l’occasion de réorganiser tous les comptes sociaux autour d’un site numérique unique, présenté comme le fin du fin en matière de lisibilité et de simplification des droits. En réalité, le compte unique consigné dans une carte à puce, donnerait un formidable coup d’accélérateur à la dématérialisation des différents guichets sociaux transformés en plateforme unique.

 

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